Gurs 10.39, premier chapitre.

1

 

Gregorio Valmy avait rencontré Christophe Lantier un mois plus tôt. Par hasard. À l’enterrement de son père. C’était le 23 août 2008. Une chaleur caniculaire s’était abattue sur la Vienne. La première de l'été. Valmy ne supportait pas ce temps et ne trouvait le salut qu’en se plongeant dans l’eau. Son appartement ne possédant pas de baignoire, et encore moins de piscine, il se dirigea tout naturellement, comme beaucoup de Poitevins, vers le plan d’eau de Saint-Cyr.

Pour accéder à ce « paradis poitevin » – et en évitant la Nationale 10 – il fallait traverser la commune de Dissay. Passé le magnifique château engoncé dans le bled, une rude épreuve attend tout automobiliste : la rue entre ledit château et l’église. Une rue à double sens, étroite mais sans stationnement : rien de plus normal. Mais un panneau apposé à mi-chemin changeait toute la donne : un panneau d’interdiction de stationner le long de cette rue qui semblait être un collector sur le territoire français, voire européen. Car le panneau signalétique comportait la précision suivante : « au-delà de cinq minutes »… Le Français moyen, dont l’esprit civique n’est plus à démontrer, aura vite fait d’analyser ces quelques mots et de faire un bras d’honneur aux auteurs de cette interdiction.

La séance du conseil municipal qui avait acté la mise en place de ce panneau avait dû entrer dans les annales de la République Française.

Il avait dû en falloir des heures et des heures de discussion parmi les édiles locaux pour pondre cette « autorisation/interdiction ». Une belle application de « realpolitik » au plan local. Tout le monde avait été ménagé : les riverains, les commerçants et d’éventuels touristes… Il faut dire que traverser Dissay par cette rue relevait de l’exploit grâce à cette injonction municipale « interdiction de stationner plus de cinq minutes ». Quotidiennement, il fallait attendre le passage chez le boulanger. Là, c’était le lot commun auquel le quidam s’habituait. Pas de blague avec la baguette gauloise. Mais des évènements exceptionnels – mariages, enterrements - avec leur cortège de voitures garées dans tous les sens, rendaient la traversée de Dissay digne d’un parcours d’Intervilles. Nathalie Simon en moins.

Mais sans Nathalie Simon, de belles gambettes se baladaient tout de même dans ce coin reculé de la Vienne. L’attention de Valmy se porta sur celles gravissant les marches qui mènent au parterre de l’église. Des jambes à faire fléchir n’importe quel mâle, père de famille venu acheter une baguette ou homme de Dieu dans l’exercice de ses fonctions. Sa jupe laissait apparaître environ soixante pour cent de ses jambes ; statistique qui grimpait à soixante-quinze au moment de monter les quelques marches du parvis de l'église. Jambes magnifiques par ailleurs. De la graine de Sharon Stone, quoi.

Des jambes, le regard de Valmy glissa sur le voile qui recouvrait le visage de la femme, peut-être pour cacher son émotion : une cérémonie funèbre se déroulait. Valmy oublia le voile pour revenir aux attributs jambiers… Attributs tellement magnifiques que le conducteur qu’il était ne vit pas le piéton qui traversait à ce moment. Christophe Lantier se retrouva sur le capot de la 205 de Valmy. Celui-ci pila et descendit immédiatement voir l’état de l’accidenté car pour miss gambette, c’était râpé. Sous les « Oh » de la foule funéraire outrée, Valmy trouva la victime en meilleur état qu’il ne l’imaginait. Deux hommes quittèrent la masse sombre de parents et d'amis tout de noir vêtus et d’où une rumeur montait. Ils venaient soit pour lui régler son compte, soit pour porter secours au cascadeur.

— Ça va Christophe, tu n’as rien ? lança le premier des deux hommes.

— C’est bon merci, ça va.

— Je suis vraiment désolé…

Valmy n’avait rien d’autre à bredouiller.

— Pas de problème, vraiment. Je n’ai pas regardé en traversant.

Bon, si ce couillon culpabilisait en plus…

— Je suis désolé, mais j’enterre mon père aujourd’hui, alors…

— Toutes mes condoléances. Je vous laisse mes coordonnées… S’il y a un problème par la suite.

Valmy lui tendit une petite carte de visite qui mentionnait ses qualités : "investigations en tout genre". Lantier la rangea dans sa poche et partit en direction de l’église sans porter plus d’attention au chauffard qui avait failli l’estourbir.

 

*  *

*

 

La nuit fut dure pour Valmy. Entre deux baignades, il avait réussi à s’endormir à Saint-Cyr plage sous un soleil écrasant, malgré les cris des quelques ados boutonneux qui jouaient au volley non loin de lui. Son accidenté ne troubla pas sa douce quiétude. Le soir venu, rouge comme une écrevisse, il rejoignit son T3 dans lequel il faisait vingt-huit degrés… Deux bières et un bon pichet de rosé ne lui enlevèrent pas le feu sur son corps mais eurent pour effet de le plonger dans un sommeil profond, bercé par le doux bruit d’un ventilateur Leroy-Merlin - soldé pour cause de mois de juin pourri – et sous la mélodie de la sublime voix de Bertrand Cantat : « Le vent nous portera »…